Aperçu historique sur l’exercice de la médecine vétérinaire au Maroc
Durant la période médiévale, la médecine vétérinaire, tant en orient qu’en occident musulman, a eu ses heures de gloire tant par la qualité des praticiens (les baytars) que par le nombre et la qualité de manuscrits consacrés aux sciences vétérinaires. Par la suite, il y a eu une sorte de stagnation et d’incapacité à suivre le progrès observé en Europe. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la médecine vétérinaire au Maroc se pratiquait de façon traditionnelle par les baytars et maréchaux-ferrants qui basaient en grande partie leur pratique sur un savoir empirique basé sur l’utilisation des plantes médicinales et la cautérisation par le feu.
La pratique de la médecine vétérinaire moderne, tant publique que privée, n’a vu le jour au Maroc qu’à l’aube du XXème siècle avec le Protectorat. On l’oublie souvent, mais il est utile de rappeler que la réglementation de l’exercice de la médecine libérale au Maroc a été d’abord instaurée pour la médecine vétérinaire avant qu’elle ne soit étendue à la médecine humaine dont la première charte réglementaire est le dahir du 12 avril 1916. La réglementation de l’exercice de la médecine vétérinaire privée trouve son origine dans le dahir du 12 mai 1914 (Joumada II, 1332) portant réglementation de l’exercice de la médecine vétérinaire et publié dans le bulletin officiel le 29 mai 1914.
Dans son article premier, le dahir de 1914 spécifie les personnes aptes à exercer la médecine vétérinaire en stipulant : « Pourront seuls se livrer à l’exercice de la médecine vétérinaire, en ce qui concerne les maladies contagieuses, les personnes pourvues d’un diplôme leur donnant droit à cette pratique dans le pays où il a été concédé ». L’article 2 définit les maladies considérées comme maladies contagieuses (maladies parasitaires, microbiennes et non microbiennes).
La procédure administrative à accomplir pour exercer la médecine vétérinaire privée au Maroc a été explicitée dans ce dahir. Il faut d’abord en faire la demande, jointe au diplôme, par écrit au Contrôle civil ou au Bureau des renseignements. Si le diplôme est reconnu valable, il sera enregistré et retourné au titulaire avec une déclaration du grand-vizir constatant le droit d’exercer (article 3). Une fois l’autorisation d’exercer délivrée, le vétérinaire peut exercer en toute localité de la zone française. S’il change de lieu de résidence, le vétérinaire doit en informer les autorités locales (article 4). Notons qu’une procédure semblable est appliquée pour les médecins. Dans ce cas, c’est le pacha de la ville qui octroie l’autorisation au médecin après en avoir fait la demande. L’autorisation est délivrée après instruction du dossier et la production du diplôme dont la régularité était vérifiée pour les Français par le service de la santé et pour les étrangers par le consul du pays d’origine de l’intéressé. Cette autorisation est publiée dans le Bulletin officiel dont le dépouillement nous a permis de suivre l’itinéraire professionnel de quelques vétérinaires qui changeaient de carrière entre le public (militaire ou civil) au privé et vice versa (Hossaini-Hilali, 2015).
L’article 7 précise les poursuites encourues vis-à-vis des personnes qui exerceraient la médecine vétérinaire sans se conformer à la réglementation en vigueur et nous retrouvons, encore une fois cette liaison du champ de définition de l’exercice de la médecine vétérinaire avec les maladies contagieuses. En effet, l’article 7 stipule : « Toute personne qui usurpera le titre et le qualificatif de vétérinaire ou qui se livrera à l’exercice illégal de la médecine vétérinaire en matière de maladies contagieuses sera passible de 16 à 1000 francs d’amende, et d’un à un mois d’emprisonnement, ou de l’une de ces deux peines seulement. Les poursuites seront faites par le Ministère Public soit d’office soit à la requête des parties lésées ». Pour avoir une idée de ce que représentait 1000 francs, il faut savoir que le salaire mensuel d’un vétérinaire inspecteur adjoint stagiaire était en 1918 de 10500 francs.
Photo 1 : Annonce pour clinique vétérinaire privée à Casablanca insérée dans l’annuaire des fonctionnaires du Protectorat publié en 1934. Cette clinique se situait au N°9, rue du Havre (devenue, rue El Brihmi-Elidrissi) à côté de la porte N°3 du port de Casablanca et non loin du laboratoire d’Analyse du Service de l’élevage. On remarque facilement que le nom du vétérinaire Ipoustéguy n’est pas précédé du titre Docteur. En effet, c’est en 1934, juste après la publication de cette annonce que ce vétérinaire soutiendra sa thèse en médecine vétérinaire à l’école vétérinaire de Toulouse sous le thème « L’anesthésie générale par voie endoveineuse à l’evipan sodique en médecine vétérinaire ». ©DR |
Après l’indépendance, le nombre de vétérinaires marocains en exercice est passé d’une vingtaine durant les années 1960 à 1300 en 2010. L’augmentation de l’effectif des vétérinaires a été accompagnée par le développement honorable d’une industrie pharmaceutique nationale. En effet, les sociétés pharmaceutiques vétérinaires, au nombre de 7 en 1986, ont dépassé la vingtaine en 2010 (Ordre national des Vétérinaires, 2012). De même, le nombre de médicaments vétérinaires homologués au Maroc est passé de 185 en 1986 à plus de 1800 spécialités en 2020 selon les publications de l’Office national de Sécurité sanitaire des Produits alimentaires au Maroc (ONSSA).
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Dr Marcellin Duprat à gauche et Dr Abbes Marsile à droite lors de l’inspection de viande aux abattoirs de Casablanca dans les années 1960. © Duprat |
Pour en savoir plus :
Jamal Hossaini-Hilali. 2015. Des vétérinaires au Maroc sous le Protectorat français. Adrar Edition, Rabat (Prix Alexandre Liautard de L’Acadéie vétérinaire de France, 2016).